NAPLES (IN CASE WE DIE), 2010
Photographies
Tirages chromogènes couleur
Ces photographies ont été réalisées en résidence, avec le soutien du Centre culturel français de Naples.
Ces photographies constituent le second volet d'un cycle dédié à la représentation du corps après la mort intitulé "In Case We Die". En Occident, dans un contexte de déni de la mort, comment figurer l’infigurable ? Et comment en aborder le thème par le medium photographique, « cette écriture du vacillement » (Roland Barthes, "La Chambre Claire"), posant d’un même mouvement, l’absence et la présence passée d’un même objet, d’un même être ? C’est l’ontologie même de la photographie qui est questionnée.
« La cendre commençait à tomber sur nous (…). À peine nous étions nous arrêtés, que les ténèbres s'épaissirent encore. Ce n'était pas seulement une nuit sombre et chargée de nuages, mais l'obscurité d'une chambre où toutes les lumières seraient éteintes. On n'entendait que les gémissements des femmes, les plaintes des enfants, les cris des hommes. L'un appelait son père, l'autre son fils, l'autre sa femme ; ils ne se reconnaissaient qu'à la voix. Celui-ci s'alarmait pour lui-même, celui-là pour les siens. On en vit à qui la crainte de la mort faisait invoquer la mort même. Ici on levait les mains au ciel ; là on se persuadait qu'il n'y avait plus de dieux, et que cette nuit était la dernière, l'éternelle nuit qui devait ensevelir le monde ».
(Lettre de Pline Le Jeune à Tacite sur les événements du Vésuve, la destruction de Pompéi et d’Herculanum, 79 après JC)
Est-ce cette menace, toujours planante, d’un tremblement de terre, d’une éruption du Vésuve qui donnent aux Napolitains ce sens si aigu de la mort, cette conscience de la précarité de la vie ? Est-ce aussi la peur d’avoir à subir une nouvelle épidémie qui inscrit la mort dans leur quotidien ? De tout temps, Naples a été la proie des maladies. On se souvient encore des épidémies de choléra de 1835 et 1974 qui révélèrent à l’Italie la réalité catastrophique de l’état sanitaire de la ville.
Dans cette ville-volcan, le rapport à la mort existe pour exalter la vie.
Devant l’église du Gesù Nuovo, une colonne votive rappelle qu’en 1656 la peste fit brusquement passer la population de Naples de 365 000 à 160 000 habitants. Dans le quartier populaire de la Sanità, le cimetière des Fontanelles préserve quelque 40 000 crânes de ces victimes anonymes, entassés jusqu’à former des alignements de murets. Ici, les Napolitains viennent adopter un crâne qu’ils caressent et embrassent en échange de quelques faveurs. Faveurs, qui si elles sont exaucées, permettront au propriétaire du crâne de libérer son âme du Purgatoire. Ces ossements d’inconnus, ils leur ont trouvé un nom : Il Capitano, Lucia. Ils leur ont construit un petit tabernacle vitré qu’ils fleurissent avec des fleurs de plastique. Ils viennent leur demander de gagner au Loto, de ramener un mari au foyer, de soigner leur fils malade.
Vertigineux, cet empilement de mâchoires, d’orbites nous regardant frontalement me renvoie à d’autres douleurs.
Dans les catacombes de San Gaudioso, une autre galerie macabre créée par des Dominicains au XVIIe siècle - à l’époque d’une Naples espagnole - dévoile une série de squelettes peints à fresque représentant des aristocrates et des ecclésiastiques napolitains. Enchâssé dans le mur, le crâne du défunt a été prélevé de son squelette (les Dominicains étaient convaincus que l’âme du défunt se trouvait dans son crâne), resté emmuré derrière la paroi.
Il y a quelque chose de l’art rupestre dans ces peintures. Quelque chose qui nous touche au plus profond. Quelque chose qui nous ramène aux premières traces humaines.