LA DANSE (IN CASE WE DIE), 2011
Installation.
12 photographies, 12 miroirs, acier, peinture.
Tirages couleur argentiques.
Ces photographies constituent le troisième volet d'un cycle dédié à la représentation du corps après la mort intitulé "In Case We Die".
Au début des années 2000, au musée d’Orsay à Paris, l’exposition « Le dernier portrait » marquait les esprits. Les deux co-commissaires, Emmanuelle Héran et Joëlle Bolloch, y évoquaient une pratique ancienne : faire le portrait d'un défunt, sur son lit de mort ou dans son cercueil, avant sa mise en bière. Au risque d’heurter les visiteurs, les peintures, les sculptures et les photographies sélectionnées faisaient référence à des codes et à des rites qui nous sont aujourd’hui devenus étrangers. Ces images peuvent aussi toucher notre sensibilité.
Réalisés dans plusieurs funérariums, mes « derniers portraits » se rattachent à cette pratique ancienne du portrait post-mortem. Des corps opalins voisinent avec une série de jambes allongées dans leur cercueil, mais que parent encore maints accessoires vestimentaires. Leur ordonnancement, leur suggestion de mouvement et d’élévation convoquent la chorégraphie des danses macabres.
En travaillant auprès de thanatopracteurs, j’ai appris à surmonter ma peur. Photographier des momies, c’est, d’une certaine façon, porter son regard sur un patrimoine ; la transfiguration spirituelle mise en scène par les moines capucins n’instaure-t-elle pas d’emblée une distance entre le cadavre et nous-même ? Il est autrement plus déroutant de photographier des êtres humains récemment décédés : on se trouve alors face à son destin. Un tel travail s’engage et engage au-delà de la photographie : il constitue une véritable expérience de vie.
La pièce, éclairée au néon, ressemble à un laboratoire et à une salle de maquillage. Entre leurs mains, les visages des défunts s’apaisent, se lissent. Je pense au « Christ au tombeau » de Hans Holbein le Jeune (1521-1522), à l’audace du peintre à représenter le corps en décomposition. Je pense à « L’Inconnue de la Seine », cette jeune femme repêchée en 1880 dans ce fleuve, dont le magnifique et énigmatique visage a fasciné et inspiré Rilke, Aragon, Man Ray, Céline ou encore Supervielle ou Nabokov.
« Je crois que si on aime la vie, confiait le peintre Paul Reyberolle au photographe Gérard Rondeau, on est très sensible au cadavre. Un corps mort est aussi splendide qu’un corps vivant, il est simplement dans un autre état. Quand j’ai peint des suicides, ce n’était pas dans le but de faire quelque chose d’horrible, mais tout simplement de rendre compte d’un état de non-vie » (Gérard Rondeau, « Reyberolle ou le journal d’un peintre », édit. Ides et Calendes, 2000).